Le Coin de la Presse

Article paru dans le Progrès

Vendanges à l'ancienne ...
Respect de la tradition et apparition de la technologie, avec une ambiance un tantinet morose pour des vendanges 92 un peu mouillées.

"La dernière étoile s’éteint,
Dans le bleu de la grande voûte.
Les fermes s’ouvrent au matin, ..."

Et les gars se sont mis en route… »

C’est Marcelle, incomparable cuisinière, cousine de Marie-Antoinette la patronne du domaine de Fond Chatonne à Villié-Morgon qui, guillerette dès l’aube devant ses fourneaux, fredonne a capella la « Chanson du pressoir » en préparant sa jardinière de légumes qui accompagnera le succulent rôti de veau de midi.
Un rien de nostalgie perce dans ces réminiscences musicales synonymes, pour elles, d’heureuses et regrettées vendanes d’antan ! Artisanales certes – sans engin mécanisé, ni procédés sophistiqués – mais tellement folkloriques, chaleureuses, nature… Elle se souvient : « A l’époque, on chantait du soir au matin ».
En faisant la course dans la passée pour remplir le plus grand nombre de jarelots, pendant le casse-croûte, et le soir à la ferme, après le dîner, avant d’aller dormir quelques heures, grisé de fatigue, de soleil, de bonne chère et de ce petit vin pas méchant-méchant mais qui vous faisait faire de beaux rêves…

Un climat un rien morose

Les vendanges 92 n’ont, c’est vrai, plus grand chose à voir avec les images d’Epinal de l’après-guerre de Marcelle. Encore moins avec celles de l’avant-guerre de Papy Armand ! C’est autre chose. Un rituel moins coloré, une ambiance moins expansive, un climat un peu morose, à l’image du ciel, en raison de la conjoncture économique. Pourtant, quel bonheur de voir cette joie mêlée d’anxiété de toute une famille, de tout un village, qui ont trimé dur pendant douze mois et sont en train de recueillir le fruit de leur labeur.

A 7H, en ce jeudi matin pluvieux de septembre, une vingtaine de vendangeurs, mal réveillés, les reins endoloris, avalent sans mot dire leur bol de café ou de cacao. Certains grignotent une tartine ou une biscotte. Marcelle peste contre ces « petites natures » qui chipotent et vont partir à la vigne l’estomac vide. Tous sont des gars et filles d’une vingtaine d’années, à commencer par Frédéric et Lara, les deux aînés de la maison, mais aussi leurs copains et copines étudiants, un ou deux demandeurs d’emploi ou chômeur, et quelques polonais comme Piotr, Iwona ou Dorota, qui font presque partie de la famille, puisqu’ils n’en sont pas à leurs premières vendanges ici.
Marie-Antoinette, Babou pour les intimes, est debout depuis longtemps. Au four et au moulin. Pardon, au cuvage et au bureau. A l’aube, elle a effectué – grâce au « palan spécial faible femme » qu’on lui a installé pour soulever seule le lourd couvercle de ciment – le deuxième « remontage » de la cuve remplie la veille. A 7h15, elle converse avec son minitel pour lui transmettre les données des prélèvements qu’elle vient d’effectuer (densité, acidité, etc…). Dynamique quadragénaire, elle mène de front son travail de mère de cinq enfants et son job de chef d’entreprise vinicole. Pas simple tous les jours ! Surtout en cette période de vendanges qui, cette année encore, correspond très exactement avec la rentrée scolaire.

A 7h45 les vendangeurs, « petits hommes verts » engoncés dans des costumes de ciré kaki, partent à la vigne de Château-Gaillard, en voiture ou sur la plate-forme du tracteur, non plus à pied et en chantant comme autrefois. A 8h, la troupe est au pied du cep. Levons les yeux. Des échardes de brouillard s’enroulent mollement autour de la Madone de Fleurie, couronnent les collines de Chiroubles, s’agrippent puis s’effilochent aux flancs des coteaux de Brouilly. Dieu, que la campagne beaujolaise est belle en ce matin humide…
Robin, le cadet de la famille qui va partir à l’école, est beau comme un sou neuf. Il fait vérifier à toute la maisonnée l’état de propreté de ses oreilles, mais cherche en vain ses baskets. Soudain, on frappe à la porte. C’est une jeune femme qui vient pour les échantillons. Babou la prend pour un représenatnt de commerce : « J’ai pas le temps ! Revenez plus tard ! ». « Mais madame, je viens chercher les prélèvements pour le laboratoire ». Quiproquo qui s’arrange vite…

Jadis les cuves arrivaient la nuit

A 9h, Marie-Antoinette débarque dans la vigne avec le sacro-saint casse-croûte, une tradition qui se perd. Pâté, lard, saucisson, fromages, pain d’épices, chocolat sont engloutis en un clin d’œil, arrosés de … menthe à l’eau ou de jus d’orange car le bidon de petit vin frais ne trouve pas d’amateur. Normal pour cette génération Mac Do allaitée au coca-cola ! A 9h30, départ pour la vigne de Roche-Noire.
Retour au cuvage pour Babou qui décide de chauffer la cuve au bain-marie pour amener son contenu de 16 à 24°C, afin d’amorcer le démarrage de la fermentation, moment critique dont dépendra la qualité du vin de l’année. A mdi, une âpre discussion – qui risque de tourner à l’aigre ! – s’engage alors avec Papy Armand, œnologue à la retraite : « Je te dis qu’il faut que l’eau soit bouillante pour libérer la saveur, la couleur, et les parfums de la pellicule » martèle-t-il à coups de canne.
On chauffe la cuve. Dès lundi, on devrait pouvoir commencer à pressurer.

A 13H30, Romuald et Tatiana, les deux avant-derniers de la famille, ont à leur tour, repris le chemin de l’école ou du lycée. Marcelle va s’attaquer au repas du soir. Marie-Antoinette se replonge dans la « paperasserie » qu’elle exècre. A19H, au retour des vendangeurs, elle recommencera les analyses, les remontages, les soufrages.

A 23H30, elle peut aller dormir : « Aujourd’hui, grâce aux analyses et améliorations technologiques si, le soir, la cuve a la densité voulue, on ne passe plus la nuit dans le cuvage » explique la patronne de Font Chatonne, ajoutant en riant : « Jadis, les cuves arrivaient toujours la nuit. Comme les enfants ! »
Cette mère de trois garçons et deux filles sait, en effet, de quoi elle parle…
Françoise Vacher


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